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Chiquita

popolyptic Par Le 13/05/2022 0

Dans Ecrits d'élèves

À Mme Anne Le-Picard, Professeur de Français au LGT Paul-Louis Courier

De fille perdue, elle était devenue femme de chambre, fille aimée d’une maîtresse bonne et douce, servage volontaire. Toute sa jeunesse, elle l’avait servie, était devenue son amie, puis sa confidente. Après la mort d’Agostin, sans elle, elle serait morte, de chagrin et de faim. Mais elle avait été là… Toujours…

Maintenant, elle était partie, en paix, après avoir donné naissance à son second enfant, un lourd jour d’été. Elle partit en même temps qu’éclata l’orage, manifestant la colère du ciel. Sigognac, anéantit, lui fit faire un imposant mausolée, d’une pure blancheur, digne de sa pureté, de sa beauté et de son âme. Il ne vivait plus, si ce n’est pour ses deux enfants, le jeune Louis de Sigognac et sa toute nouvelle petite sœur, prénommée Isabella en l’honneur de sa mère… Comment un ange, si bon, si doux, si vertueux, avait pu lui être arraché ?

Chiquita était maintenant une jeune femme accomplie, instruite dans toutes les grâces d’une dame et pouvant, par l’éducation soigneuse reçue d’Isabelle et sa beauté espagnole, rivaliser avec les nobles des plus hauts rangs. Son éducation lui avait mis de l’or entre les mains et elle était tout à fait capable de travailler comme femme de chambre si besoin en était.

Maintenant que son ange était parti, qu’allait-elle devenir ? Fallait-il rester ? Fallait-il partir ? Sa servitude n’avait plus lieu d’être, sa bienfaitrice étant partie. Elle était libre. Mais était-elle redevable, responsable des enfants de la défunte baronne ? Si elle partait, le baron saura-t-il mener à bien l’éducation de ses enfants, maintenant que sa flamme était partie avec son amour ? En proie à l’incertitude la plus totale quant à sa ligne de conduite, tourmentée la nuit comme le jour, elle s’épuise, se questionne sans pourtant trouver de réponse.

C’est dans cet état que le baron la trouva, prostrée devant la tombe de sa chère Isabelle. Il approcha, sans bruit, un mois après la mort de sa bien-aimée, par une lourde soirée d’août.

« Est-ce vous, Chiquita ? » demanda-t-il en voyant une femme agenouillée devant l’imposant monument. Celle-ci sursauta, tirée de ses pensées. Prestement, elle se releva pour se fendre aussitôt dans une profonde révérence. Pour la première fois, dans la lumière sanglante du couchant barré de nuages noirs, Sigognac fut frappé par ce qu’elle était devenue. Alors qu’il la voyait toujours sous les traits de l’enfant sauvageonne qu’ils avaient rencontrés à l’auberge du Soleil Bleu des années auparavant, il trouvait devant lui une femme belle, charmante et bien proportionnée. Elle était, ce soir-là, habillée d’une robe de satin rouge vibrant, imitant la mode de la cour à la simplicité près, faisant ressortir sa beauté. Un léger vent glacé venait jouer avec les mèches échappées de la coiffure de Chiquita, rafraîchissant une atmosphère pesante. Grandissant, il fit frissonner ses dessus de dentelles dans un bruit de feuilles d’automne. Revenant de derrière les arbres, il chassa délicatement les mèches de son front mate sur ses tempes luisantes. De ses lèvres pourpres sortit, dans un souffle, l’expression de sa surprise, rapidement dissipée.

« Monsieur…

– Écoutez-moi… – lui dit-il en la regardant dans les yeux. Vous êtes une jeune fille accomplie, capable et belle, je m’en rends compte à présent. Vous étiez chérie par ma femme, qui vous voyait comme sa fille. Sachez avant tout que si vous voulez rester, vous le pouvez, notre porte vous sera toujours ouverte. Mais je ne vous retiendrais pas si vous voulez partir. Isabelle a veillé à ce que vous ayez assez pour subvenir à vos propres besoins par l’éducation qu’elle vous donna et le lègue qu’elle vous fait. Ainsi, vous êtes libre de vos choix. Donnez-moi votre réponse lorsque vous aurez décidé… »

Ayant dit ces mots, Sigognac s’enfuit, cachant la douleur sourde qui lui rongeait le corps depuis la mort de sa femme, le privant de sa joie, douleur ravivée par la vue d’une personne qui lui était si chère. Arrivé face à son resplendissant château, il lui apparut lugubre, triste et délabré comme au temps de sa rencontre avec Isabelle. Fuyant cette horrible vision, il courut sous l’orage naissant se réfugier dans sa demeure, peuplée des fantômes de l’être disparu. Ici, la place qu’elle occupait à leur première rencontre. Là, son tableau préféré. Épuisé, il s’écroula devant le berceau de sa fille, en pleurs, ces pleurs qui toujours, depuis deux mois, l’accompagnaient chaque soir.

Chiquita, encore troublée par les mots de Sigognac, resta prostrée, debout, seule plus que jamais devant ses décisions, forcée par Sigognac à faire un choix, ne sentant pas les lourdes gouttes tomber sur ses cheveux et ses habits parmi les roulements de l’armée céleste. Au premier éclair, elle sursauta. Perdue, arrachée aux limbes, elle se leva, inquiète, puis se mit à courir pour rentrer au château. Sans faire attention aux branches menaçantes qui lui déchiraient les vêtements et la peau, aux herbes mouillées qui lui fouettaient les jambes, à ses cheveux détachés volant au vent, à la terre détrempée éclaboussant ses jupons, Chiquita, les cheveux et les vêtements détrempés, couru se réfugier au château, implorant Isabelle de l’aider une dernière fois de sa sagesse, avant de s’en aller à tout jamais…

Au moment d’entrer, Chiquita trouva la grande porte fermée et verrouillée. Affolée par cette situation improbable et ruisselante d’eau, les habits lacérés, sous une pluie battante, elle se mit à tambouriner à la porte jusqu’à ce qu’un valet arrive.

« Mademoiselle Chiquita ? Que faisiez-vous dehors à cette heure ? Et votre tenue ! Qu’est-il arrivé ?

– Rien de grave. J’étais en promenade et je me suis fait surprendre par l’orage » dit-elle, hors d’haleine.

Voyant le regard étrange et les couleurs vives sur les joues du valet, elle ajouta, gênée : « Pourquoi me regardez-vous comme ça ? »

Elle était rouge de sa course, les lèvres et les extrémités bleuies par la pluie glaciale. Ses cheveux corbeau emmêlés retombaient en cascade sur ses épaules rondes dénudées et griffées. Ses bras égratignés s’accrochaient à une robe lacérée laissant voir des pieds nus et meurtris, ses chaussures s’étant égarés dans sa course folle. Le lourd tissu composant ses dessous, trempés, moulaient ses formes bien proportionnées et montraient toute sa force et sa beauté sauvage. Son visage d’ange, griffés en bien des endroits, ressemblait à celui d’une Diane chasseresse, expression rehaussée par son décolleté déchiré laissant entrapercevoir le début de sa poitrine, tout en restant dans les limites de la décence.

Soudain, elle se rendit compte de sa tenue. Rougissant violemment de honte, virant presque au pourpre, elle courut dans sa chambre pour se changer. Épuisée, essoufflée à cause du corset lui enserrant la taille pendant sa course, elle s’écroula sur son lit.

***

Un éclair instantanément suivi d’un bruit de vitre cassé, noyé dans le claquement du tonnerre, plus puissant que jamais, réveilla toute la maison. Un cri surgit de la chambre de Sigognac.

Inquiète, Chiquita, en robe de nuit, couru pieds nus jusqu’à la chambre du Baron. De nombreux serviteurs étaient attroupés devant celle-ci, menés par le vieux Pierre, courbé sous le poids de l’âge. Hérode, l’ancien comédien convertit en écuyer-trancheur, au premier rang, frappa, frappa plus fort, à coups redoublés, sur la lourde porte en chêne fermant cette chambre à coucher consacrée par naissance et mort. Sous ses coups, la porte s’entrouvrit, laissant échapper une fumée âcre prenant à la gorge. Chiquita, s’étant frayé un chemin vers le premier rang, pu voir le tragique spectacle qui la fit reculer.

Les meubles étaient renversés, les draps, les tentures et le berceau en flammes, jetant des lueurs d’enfer dans une atmosphère saturée d’une lourde fumée noire et brûlante. Par terre, gisait le corps, évanouit et ensanglanté, de Sigognac, serrant dans ses bras un autre, encore chaud mais sans vie, flottant dans des langes de dentelle. Ce qu’elle vit, elle ne le reconnut que trop bien pour l’avoir côtoyée durant sa triste enfance. La mort, rodant de nouveau dans cette pièce, avait impitoyablement fauchée la vie de la trop chétive Isabella.

Rapidement, Chiquita fut tirée en arrière par un bras solide. Des valets, se précipitant dans l’ouverture alors libérée, se jetèrent au secours de Sigognac, qu’ils portèrent hors de la chambre tandis que les autres serviteurs, le premier instant de stupeur passé, se relayaient pour éteindre le feu de la chambre et sauver le peu de mobilier encore intact.

Quelques jours plus tard, une nouvelle pierre se dressait à côté de l’imposant mausolée et des rides nouvelles étaient apparues sur le front à demi bandé de Sigognac, là où l’avait frappé un éclat de verre brisé. Il tenait tristement la main de son fils, unique héritier des Sigognac, seul reste d’une famille aimante. Sigognac le savait, il ne pourrait pas survivre à une troisième mort dans cette demeure qui pourtant en avait connu tellement déjà, mais qui, il l’avait espéré, ne devait plus connaître la Camarde de sitôt. Pourtant, rapidement, le cruel destin, avait éteint la flamme d’espoir et de joie d’une trop flamboyante renaissance, plongeant de nouveau les Sigognac, famille maudite, dans la tristesse et le chagrin.

Silencieusement, Chiquita vint, le soir suivant la mort de la petite Isabella, donner son congé, espérant faire le bon choix après la tragédie de la dernière nuit. Le petit Louis n’aura pas besoin d’elle, et si, en tant que servante de madame la Baronne, elle s’était sentie responsable d’Isabella, cette inquiétude n’avait plus raison d’être. Elle n’avait plus aucune attache dans cette maison qui avait été pendant tant d’années, son paradis mais qui aujourd’hui, frappée par l’inéluctable faux de la mort, ne faisait que ressurgir en elle des fantômes du passé, empêchant ses blessures de guérir.

« Monsieur, je m’en vais avec je l’espère votre bénédiction. Je vous remercie pour tout ce que vous et Madame Isabelle avez fait pour moi », lui dit-elle, les lèvres tremblantes, en proie à un sentiment étrange, la peur de l’inconnue et l’excitation, la curiosité du nouveau et la tristesse de quitter l’ancien.

« Vous faites bien Chiquita… » lui répondit Sigognac, les yeux tristes, plus sombres qu’un puit sans fond, plus nuageux qu’un jour d’orage. « Cette maison est maudite. Partez, mais n’oubliez jamais que vous êtes la bienvenue ici. J’ai entendu parler d’une place de femme de chambre et d’aide dans une bonne famille de Tours par mon beau-frère, les La Vallière. Je vous prie d’examiner la suggestion avant tout autre chose. Je sais que vous y serez bien traités et que vous pourrez vous y épanouir. Voici un billet pour vous introduire et vous recommander auprès d’eux », continua-t-il, le ton marqué par une tristesse insondable, espérant presque qu’elle refuse ses offres et décide de rester.

« Jamais je ne vous oublierais ! Merci infiniment pour votre bonté envers moi », s’écria-t-elle, les yeux aux bords des larmes, le cœur lui criant de rester dans ces endroits chéris mais l’esprit la traînant déjà loin de là.

« Pas de remerciements mon enfant. C’est le moins que je puisse faire. Je vous souhaite un bon voyage, et du courage pour votre nouvelle vie. Maintenant, prenez votre dû et partez, sinon vous n’arriverez jamais à temps à une auberge convenable », le coupa Sigognac, la voix cassée, en lui tendant une bourse ventrue.

« Donnez-nous de vos nouvelles, et que dieu vous garde », ajouta-t-il si bas qu’il fallut à Chiquita tendre l’oreille pour comprendre, ou plutôt deviner ces paroles alors qu’elle prenait le cadeau.

« Adieu. Qu’Il prenne aussi soin de vous », répondit Chiquita, fondant en larmes sous l’embrassement soudain du petit Louis.

Les yeux pleins de larmes et les joues ruisselantes mais le sourire aux lèvres, une dernière fois, alors que l’attelage s’ébranlait, Chiquita se retourna, contemplant le château rapetissant derrière le rideau d’arbres, quittant tout ce qui, depuis plus de cinq ans, composait son existence. Une dernière fois, par-dessus les cimes, elle vit la plus haute tourelle du château disparaître. Elle savait qu’elle avait pris la bonne décision.

***

« Bienvenue au château de La Vallière. Vous serez la femme de chambre de ma fille, Louise. Elle est discrète et simple, mais elle a besoin de distraction en plus d’une femme de chambre. Vous savez, nous sommes assez isolés ici, et elle n’a pas d’amis à part le petit Raoul de Bragelonne, qui habite dans le château que vous pouvez voir au-delà des arbres. Voici Marie. Elle va vous faire visiter le château et vous amener à Louise après vous avoir accompagné dans votre chambre ».

Cecil Thymas

Cecil Thymas

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