Cher Antoine

popolyptic Par Le 05/05/2022 0

Dans Ecrits d'élèves

          
 

A Antoine de Saint-Exupéry

Lorsqu’il était petit enfant.

Le 09 juin 2021

Désert

«Cher Antoine

Je t’écris cette lettre depuis loin, très loin de toi, et pourtant d’un endroit que tu connais très bien. Alors que j’étais en voyage, loin de ma maison, je me suis égaré dans le désert. Tu sais, sans doute, que rien ne ressemble plus à un désert qu’un autre. Alors je me suis perdu. Et dans mon errance, le soir arrivant, je devais me trouver un endroit où dormir. Les premières étoiles riantes commençaient leurs chants.

C’est là que je l’ai vu, assis sur le sable. Il regardait le coucher de soleil, adossé à un mur. Je l’ai vu, face à moi, le regard mélancolique perdu dans le vide. A mille milles de toute habitation, ce ne pouvait être que lui. Il n’était ni effrayé, ni mort de faim, ni mort de soif. Ses cheveux blonds s’agitaient dans le vent du désert. Je me suis approché de lui. Et je me suis assis.

« Bonjour, lui dis-je.

– Bonjour, me répondit-il, en regardant le soleil.

– Comment t’appelles-tu ? » lui demandais-je

Il ne me répondit pas. Nous sommes restés ainsi, assis côte à côte, jusqu’à la fin du coucher du soleil.

La nuit fut froide. J’avais lu ton histoire. Je savais qu’il ne fallait pas lui poser de questions. Alors j’ai attendu. Et à force d’attendre, après quelques jours à l’écouter parler à côté du puit, voici ce que j’ai pu apprendre. La suite de son histoire.

Après t’avoir quitté, après avoir été mordu, il était retourné chez lui. Plus léger, il avait pu s’envoler tout droit. Droit vers sa planète. Vers sa rose.

Durant son voyage, il pleurait. Tu sais, ça a été très dur de partir. Même si c’était pour retrouver sa rose. Tu étais devenu son meilleur ami. Tu l’avais apprivoisé. Il pouvait se consoler, dans l’espoir de revenir chez lui, mouton et muselière en poche, retrouver la rose et sa compagnie.

Mais son espoir s’est bien vite envolé. Malgré ses 4 épines, sa rose n’avait pu tenir face aux baobabs. Pendant son absence, ils avaient poussé, encore et encore, jusqu’à l’étouffer. Ses volcans, non ramonés, avaient débordé. Le monde autour de la rose avait éclaté en morceau.

Il était arrivé trop tard pour sa rose. Vaillamment, elle avait attendu, jour après jour, nuit après nuit, malgré le froid et les courants d’air, malgré les chenilles et les papillons, seules compagnies, qui bien vite l’avaient laissé pour partir en voyage…

Malheureusement, sa vaillance n’avait pas suffi. Elle n’avait plus de force, et sa belle parure n’était plus si soignée. Lorsqu’il est arrivé, sa rose lui dit, toujours aussi fière, même dans ses derniers instants, combien il lui avait manqué. Puis elle ajouta sa dernière volonté : un paravent et un globe, pour protéger sa dignité. Lui, il ne put, n’eut pas le temps, la force, de la soutenir. A peine arrivé, éprouvé par le voyage, le voilà sur une planète dévastée, assistant à la fin de la seule rose qu’il n’ait jamais aimé.

Il n’a pu le supporter. Il accomplit les dernières volontés de sa rose, et, rempli de tristesse, laissa sa planète aux soins du mouton. Il reprit son errance, visita d’autres planètes, rencontra d’autres personnes. D’autres adultes, tous aussi étranges les uns que les autres. Ils avaient tous oubliés que l’important ne se voit qu’avec le cœur.

Le pauvre… Son errance dura longtemps. Au fil des ans, au fil du temps, au fil des voyages et des rencontres, sa peine s’atténua, mais laissant, malgré tout, une cicatrice au fond de son cœur. Après de nombreuses années, il décida de revenir te voir. Le jour anniversaire de son arrivée, tant de temps après son départ, il revint dans ce désert. Il y retrouva le serpent, affaiblit et vieux. Son venin était parti. Il n’avait plus sa puissance, sa force. Il ne pouvait plus faire voyager.

La planète avait bien changé. Il rencontra plus de monde, plus de routes. La terre était comme sa planète. Les baobabs avaient trop poussé, et avaient finis par l’étouffer, la faire éclater. Il l’a bien ressenti. Les humains ne prenaient pas assez soin d’eux même, ils oubliaient trop souvent l’indispensable toilette du matin.

Les rois avaient changé. Ils s’étaient débarrassés de leurs bontés, et abusaient de leurs autorités, punissant les généraux ne pouvant se transformer en oiseaux, exigeant une obéissance sans limite, exclusive.

Les ivrognes buvaient pour oublier leur honte de boire, entrainant d’autres à boire pour oublier la honte de voir leurs amis boire. Buvant pour oublier la honte d’être ce qu’ils étaient devenus.

Les businessmans ne se contentaient plus d’étoiles appartenant à tous. Ils voulaient plus que cela, des papiers avec des chiffres, enfermés dans une banque, toujours en plus grand nombre, quitte à prendre les papiers des autres, étant des hommes sérieux et occupés.

Les vaniteux continuaient à être admirés par tous, applaudis par tous, autant de centre du monde demandant toute attention, développant des stratagèmes diverses et variés pour attirer d’’autres admirateurs plus nombreux.

Les allumeurs de réverbères, eux, avaient disparu. Plus personne ne s’occupait d’autre chose que de soi-même…

Il chercha les hommes. Le bruit, les lumières, la vitesse de tous ces adultes poursuivant à toute allure des objectifs imaginaires le rattrapèrent, au bout des routes comme en haut des monts. Ces personnes aussi étaient des gens sérieux, avec qui il fallait parler bridge, golf et cravate, espérant passer pour quelqu’un de raisonnable.

Toujours, on apprenait au gens à laisser de côté le dessin et l’imagination, à s’intéresser à l’histoire, à la géographie, à l’arithmétique ou à la grammaire. Les boas mangeant des éléphants étaient remplacés par des chapeaux. Les moutons ne se voyaient plus à travers les boites. L’important, ce n’était plus ce que l’on voyait avec le cœur.

Il chercha le puit rieur et sa poulie joyeuse. Il ne trouva plus qu’un trou profond et vidé par la chaleur grandissante. Son puit s’était asséché. Ses cinq cents millions de fontaines avaient tari.

Il chercha son renard. A la place, il trouva une ville neuve, toute de fer et de béton, de sons et de lumière, loin des blés dorés au soleil et des jeudis de fête avec les filles du village.

Il chercha le jardin aux cinq mille roses semblables. A la place, il ne trouva que goudron et essence, dureté et saleté.

Il chercha ta machine. Il en trouva tellement qu’il ne sut s’y retrouver. Tant de trésors dans des maisons abandonnés. Tant de choses semblables a tous pour tous.

Il te chercha. Il ne te trouva pas. Il apprit que tu étais parti. Loin de nous. Loin de la terre des hommes. Et il pleura.

J’aurais voulu le consoler, j’aurais voulu trouver les mots, mais moi, je n’ai jamais perdu de roses. Je n’ai jamais apprivoisé de renard, ni possédé un mouton ni même une étoile parmi les cinq cents millions.

Alors, depuis son retour, il attend. Il attend le soleil couchant, car quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil. Il attend un serpent, qui pourra l’envoyer rejoindre sa fleur et son mouton. Il attend une migration d’oiseaux sauvages pour son évasion. Il attend de pouvoir rejoindre le renard apprivoisé. Il attend de pouvoir un jour te revoir lorsque, toi aussi, tu reviendras à ton point de chute.

Tous les soirs, il s’assoit contre ce mur et regarde le soleil. Alors j’ai fait comme lui. Je me suis assis et j’ai regardé. J’ai regardé le soleil se coucher sur le plus beau et le plus triste paysage du monde.

A côté de lui, j’ai écouté les étoiles sangloter. J’ai écouté le vent souffler dans les cinq cents millions de fontaines. Et j’ai vu le blé fauché, reposant sur le sol, piétiné par les hommes et leurs machines.

J’ai fini par le quitter et retrouver mon chemin.

Et j’ai fini par t’écrire cette lettre. Car je ne veux te laisser plus longtemps tellement triste. Je t’écris qu’il est revenu. Que tu dois venir vite pour le consoler.

Et que le mouton n’a pas mangé la rose. Car cela fait toute la différence. »

Cecil Thymas

Cecil Thymas

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