Les oiseaux chantent, le vent est chaud, le temps est lourd. C’est la fin de l’été… et celle des vacances aussi. On va bientôt reprendre les cours. Allongé sur le sable encore chaud, j’observe octobre qui se profile comme les nuages à l’horizon. Mais ils sont loin. Ça va, il reste encore un peu de temps. Avant que ne tombe la pluie.
— Hey… T’es avec moi ?
Je tourne la tête vers la douce voix qui m’appelle. Et je tombe dans des yeux bleus comme le ciel au-dessus de ma tête. Tara. Mon amie d’enfance. Et bientôt plus, je l’espère. Toujours là, dans mes plus lointains souvenirs. Dans un ciel toujours plus radieux sous son regard.
— Tu penses à quoi ?
— À rien. Je regardais le ciel. Il est beau.
— Oui. C’est vrai. Il y a des nuages à l’horizon… »
Silence. Dernier jour d’août. Certainement dernier jour de soleil. Mais cela ne me gêne pas. Car mon ciel sera toujours bleu, si je le regarde avec elle.
— Eh les inséparables, vous venez ? Il faut finir de charger les bagages ou sinon on y sera encore demain ! Ce serait bête de rater la rentrée de ta dernière année de cours !
Jason… Encore quelques minutes s’il te plaît… justement parce que ce sont mes dernières grandes vacances, je dois en profiter. L’été prochain je travaillerais sans doute alors s’il te plaît, laisse-moi savourer ces dernières minutes de paix aux côtés de … Tara. Qui s’est levée immédiatement, elle.
Elle me regarde fixement, sans un mot, avec ce petit regard si particulier qui me rendrait capable de n’importe quoi pour elle. Elle me regarde, jusqu’à ce qu’à contrecœur, je me mette à la suivre. Ses pas dans le sable sont plus petits que les miens. Cela a bien changé, depuis l’époque où, sur cette même plage, nous nous amusions à ne laisser qu’une seule et même trace, accrochés l’un à l’autre pour marcher du même pas. Cela fait déjà tellement de temps… Qu’importe. Je marche sur ses traces, à défaut de marcher dans ses pas. Ce qui n’est pas la même chose au sens propre contrairement au sens figuré.
J’arrive enfin à la chaussée. Le parking est juste en face de moi et la voiture me renvoie les rayons du soleil, plus pensants que du plomb. Devant moi, malgré la crème solaire, Tara est rouge cramoisie. Je ne dois pas être mieux à en juger par l’état de mes bras et de mes jambes, sauf que moi, je sue à grosses gouttes, laissant de petits cercles foncés dans le sable. On aurait dit des traces de pluie.
— Bon, tu viens ? La voiture va pas se remplir toute seule et je vais certainement pas faire tout le boulot à ta place ! me crie Jason.
— C’est bon laisse-le un peu… il prend son temps c’est normal…
— Pfff… Toi de toute manière t’es toujours de son côté, hein… »
Merci d’avoir pris ma défense Tara. Je te revaudrais ça.
En attendant, je m’active. Les lourdes valises rentrent une à une dans le coffre de la voiture, les provisions et les souvenirs comblent les trous. Après plusieurs réaménagements nécessaires et successifs, je suis plus mouillé que si je sortais de la douche. Je pense donc que je ferais bien d’en prendre une avant de partir. J’ai mal aux bras à force de porter, mais la voiture est enfin prête à partir. Et pas merci du tout à Jason qui s’est barré après le premier aménagement foireux – qui, au passage, était le sien. Par acquis de conscience, je demande :
— Il nous reste quoi à faire, avant de partir ?
— Le ménage. Et manger aussi, accessoirement. Et ensuite il nous faudra tracer si on veut éviter les bouchons sur le périph.
Du long terme. C’est tout Tara ça… Toujours à tout prévoir à l’avance. Elle est vraiment parfaite.
— Autant dire qu’on a un peu de temps quoi…
— Je dirais plutôt qu’on est à l’heure. On ne sait jamais ce qui pourrais arriver, c’est toujours bien d’avoir de la marge, me dit-elle.
C’est pas faux. Et je dirais même qu’avec l’équipe qu’on est, une heure de rab ne serait pas de trop.
— Je vais prendre ma douche avant le ménage dans ce cas. Je la prends et je m’attaque aux chambres, tu viens m’aider ?
— Ouais j’arrive. Pars devant.
Pendant ma douche, Tara a déjà nettoyé tout le rez-de-chaussée. Il ne reste que les chambres et la salle de bain, que je m’empresse de nettoyer. Heureusement que Tara était avec moi. Jason ou Théa m’auraient laissé en plan. D’ailleurs je crois que c’est le cas car je ne les vois nulle part. Ils ont bien de la chance qu’on soit assez sympa pour faire tout le boulot à leur place.
— C’est surtout qu’on a pas le choix si on veut rentrer à l’heure, allez bouge, je vais enlever les draps.
— Tara ? J’ai pensé tout haut ? Attends je t’aide. Passe-moi le balai, ce sera plus simple.
— Non mais je te connais trop bien. Et vu le regard que tu jetais en direction de ta chambre c’était pas difficile à deviner. Et laisse ce balai, tu serais plus efficace à t’occuper du lit de Théa, j’ai presque fini le mien.
Pas de surprise de ce côté-là. Efficace, rapide. Ma Tara tout craché. Elle continue sur sa lancée :
— Bon, je passe à ta chambre. Je m’occupe du lit de Jason. Je te laisse passer le balai, ici et tu déferas ton lit après si t’as le temps.
— A vos ordres mon commandant !
Lorsque j’arrive enfin dans ma chambre, elle est déjà en train d’enlever les draps de mon lit. Je croyais qu’on s’était mis d’accord sur le partage équitable des tâches…
— Laisse je vais le faire ! Tu peux préparer les sandwiches à la place. Et puis je crois qu’il sera temps de partir.
— Ouais c’est ça. Je vais envoyer un message à Théa pour lui dire de se ramener avec Jason. S’ils tardent trop ça va être l’enfer sur la route.
Après une demi-heure d’intense activité réussissant presque à faire oublier ma douche, voici le bilan : Chambres : vidées et balayées. Salle de bain : Brillante comme un sou neuf. Toilettes : plus propres qu’à notre arrivée. Cuisine : placards vidés et nettoyés. Salon/Salle à manger : Rien à dire. Pas un poil qui traine.
—Il reste plus qu’à prendre nos sacs et on s’en va.
Comme toujours, sortie de nulle part. Tara m’aurait annoncé être un ninja que ça ne m’aurait pas étonné.
— On a bien travaillés ! dit Jason
— ON a bien travaillés Tara et moi. Vous, vous avez servis à rien.
— C’est… presque pas vrai, avoue Théa.
— Si, et pour la peine c’est vous qui allez conduire. Na.
Bien dit, Tara. Tellement de répartie. À moi le repos de la banquette arrière. Sa voix casse mes rêves de trêves et de repos tranquille :
— Par contre il faut se dépêcher si on veut pas se prendre la pluie parce que les nuages arrivent très très vite.
Aïe. Ce qu’il ne fallait pas dire avec un conducteur comme Jason… Il réagit aussitôt et dit en se levant d’un coup :
— Ok on y va. J’aimerais partir le plus vite possible si vous voulez bien. Avant que la pluie ne tombe.
À peine le temps de dire ouf et nous voilà sur la route. Adieu, paisible bord de mer. Paris pollué, gris et stressant nous attends à l’arrivée. C’en est presque à te dégoûter d’habiter dans la capitale malgré tous les avantages indéniables que cela comporte. Moi qui comptais me déclarer juste avant de rentrer de vacances, je crois que c’est raté. Ce n’est pas grave. L’important, c’est que j’arrive à le faire avant que ne tombe la pluie.
Les nuages se font de plus en plus présent et pressants. Ça va être juste d’arriver avant la pluie. Et c’est un sacré orage qui se prépare à l’horizon… Cela n’a rien de bon. Les bouchons interminables s’enchainent et, enfin, Jason repars à bord de sa superbe voiture. Je raccompagne Tara jusque devant chez elle, attendant le moment propice. Le temps est oppressant maintenant. Etouffant.
Alors que le tonnerre éclate, Tara reçoit un appel. Son visage perd sa couleur. Son regard bleu est devenu gris. Plus gris que les nuages qui bouchent l’horizon. Plus mouillés que ces nuages qui, comme ses yeux, pleurent dans le ciel. Il est trop tard, et la petite boîte restera pour l’instant au fond de ma poche. Je n’ai pas su parler. Je n’ai pas su lui dire, avant que ne tombe la pluie.
Cecil Thymas